Celui qui était Suisse
Après avoir découvert que ton mari te trompe lui aussi, c’est comme si tu avais perdu tes illusions. Tu te sens comme prisonnière de ta vie et tu as envie d’évasion. Tu as besoin d’air, désespérément besoin de te raccrocher à une bulle de liberté. Tu deviens une assidue du forum de discussion sur lequel tu allais, tu connais maintenant les autres habitués et tu aimes les retrouver pour plaisanter et bavarder. Les échanges vont du tac au tac et tu aimes cette spontanéité.
Soudain un soir, surgit un nouvel abonné. Sa photo de profil est neutre, des montagnes enneigées, mais la photo qu’il poste au cours d’un jeu sur le forum te laisse pantelante: de dos, sous la douche, le corps ruisselant, il a le corps masculin le plus sublime que tu aies pu admirer. Son dos est musclé, mais pas trop, ses fesses rebondies, ses cuisses sont fuselées et sa peau juste un peu bronzée. Les fossettes au bas de son dos te donnent instantanément envie d’y déposer des baisers. Au moment ou tu vois cette photo, à cet instant tu sais, au fond de toi, que tu as envie de cet homme, peu importe l’endroit où il se trouve, tu le veux juste pour toi.
Alors commence plus ou moins consciemment, une opération séduction sans vraiment le vouloir et sans pouvoir t’en empêcher. Tu lui réponds immédiatement, en choisissant bien tes mots, avec une question ouverte, de façon à ce qu’il te réponde à son tour, pour engager une conversation. Et puis, dès que le jeu le permet, tu postes à ton tour une photo mais pas n’importe laquelle, la plus belle de ta galerie secrète, celle que tu gardais pour une occasion, la voilà l’occasion, c’est lui l’occasion.
Et cela fonctionne, il dit wahou, il dit mon dieu, il dit c’est fou, il est visiblement sous le charme autant que tu l’es de lui.
Vous flirtez, vous riez, vous vous taquinez et enfin l’un de vous deux – lui, bien sur que c’est lui, c’est toujours eux qui craquent en premier – ose envoyer le premier message en privé. Looping dans ton cœur. Tu n’attendais que ça depuis des heures. Il t’envoie une photo de son visage, et tu craques instantanément. Il est aussi beau et attirant de visage que l’est son corps. Un vrai coup de cœur.
Mais il y a un mais. Il vit en Suisse… et tu es en région parisienne. Si loin. Et puis il est en couple, aussi. Tant pis. Le rêve cela ne coute rien n’est-ce pas? Alors vous rêvez, vous continuez à discuter, vous échangez vos numéros de téléphone et c’est maintenant à longueur de journée que vous discutez mais surtout que vous sextez.
Parfois il t’appelle, et il a une belle voix d’animateur radio, tu en apprécies chaque tonalité. Il vous arrive aussi de vous appeler en visio et avec lui tu découvres l’amour face caméra. Tu feras face à lui ton premier strip-tease via IPad. L’amour 2.0.
Mais tout cela a ses limites, et après quelques mois à jouer ainsi, vous avez autant envie l’un que l’autre de vous voir en vrai. De braver la distance et de passer au réel. Cela tombe bien, tu as des amies d’enfance qui habitent Lyon, que tu dois visiter bientôt pour les vacances. Tu peux rester un soir de plus que prévu pour le voir… et pour lui, de Genève à Lyon ce n’est pas si loin, il peut prétendre se rendre à une session de travail et te rejoindre. Vous convenez de ce plan deux semaines à l’avance, tu préviens ton mari que ton voyage sera plus long que prévu; lui s’arrange de son côté.
L’excitation de l’attente te gâche presque le séjour avec tes amies, tu ne fais que penser à lui, tu regardes sans cesse ton téléphone, guettant ses messages, ses « ma blondinette » te font chavirer par avance. Le jour J, tu déposes tes affaires à l’hôtel et tu reçois un sms « je suis en route », tu frissonnes, tu vas enfin pouvoir l’embrasser pour de vrai. Tu es euphorique. Une alarme bipe quelque part dans ta tête, attention, de lui je pourrais bien tomber amoureuse, mais tais toi enfin, j’ai envie de tomber amoureuse. C’est si doux d’être un petit peu amoureuse.
Tu descends te balader sur les quais, ta nervosité grandit, le temps passe, l’heure du rendez-vous approche, tu te rends à l’entrée du parc ou vous devez vous retrouver. Tu l’attends un peu. Beaucoup. Tu décides de t’asseoir et de prendre un thé. Tu reçois un autre message « j’ai du faire demi tour. Problème. Je viendrais plus tard, je t’expliquerai »…
Alors tu retournes à l’hôtel et tu attends qu’il te recontacte et tu attends… attends… attends…
Et il ne viendra pas. Du tout. Il t’explique que sa compagne a senti quelque chose, qu’elle a des soupçons, qu’il ne pouvait pas venir sans provoquer une crise de couple. Et tu comprends mais tu lui en veux, beaucoup, et tu passes ta soirée seule, et tu noies ton chagrin dans le mini bar que tu vides, et tu lui envoies des dizaines de photos sexy pour qu’il sache ce qu’il rate, et il s’en veut oh combien de t’avoir laissée tomber, il te le dit mille fois par messages, mais cela ne suffit pas à te consoler. Comment a t’il pu te faire ce coup là? Comment as tu pu en arriver là? Comment as tu pu tomber si bas? Sur la route du retour le lendemain, tu pleures pour de vrai, avec de vraies larmes qui te brouillent la vue au point de devoir t’arrêter sur le bas côté parce que tu n’y vois plus rien. Tu te sens nulle, seule, déprimée, fatiguée, tu n’as pas envie de rentrer, tu as envie de rester là à pleurer pour le reste de ta vie. Mais tu ne peux pas. Tu dois retrouver tes enfants qui t’attendent. Alors tu te reprends, tu repars, en chantant fort et faux du Céline Dion pour te donner la courage de terminer les heures de route.
Tu découvres la double peine quand on trompe son mari et que ça finit mal: celle que t’inflige l’amant, et celle de devoir faire semblant que tout va bien. Surtout ne rien montrer de ton chagrin, ne rien laisser paraître, accrocher un beau sourire à ton visage, car après tout tu rentres de vacances entre amies alors ton mari ne comprendrait pas cette déprime. Tu es pourtant très mauvaise comédienne, mais il n’a pas envie de le voir, alors il ne voit rien.
Ton beau correspondant Suisse continue de t’envoyer des messages, il s’excuse, il s’en veut, il se sent très mal, il aimerait se rattraper, et évidemment faible comme tu es tu le laisses te parler. Tu es incapable de ne pas le lire. Et incapable de ne pas lui répondre. Tu lui dis comme il t’a blessée. Tu lui dis que c’est sa dernière chance. Il va la saisir cette chance, par le biais d’un voyage d’affaires sur Paris. Il te propose d’en profiter pour te voir lorsqu’il viendra, et tu acceptes, non sans appréhension.
Tu hésites à lui rendre la monnaie de sa pièce et à ne pas venir au rendez-vous, mais tu es trop curieuse, trop impatiente de connaître sa peau, trop heureuse de concrétiser enfin ce moment tant attendu au fil des messages que vous avez échangé au fil du temps. Tu n’es pas rancunière. Tu n’as pas ce défaut. Tu es bien trop gentille, bien trop douce pour cela. Enfin il arrive, ton regard croise le sien, vos sourires se répondent et l’évidence est là. Il est aussi séduisant devant toi qu’il l’était sur photo et sur caméra, tu n’es pas déçue. Il se penche vers toi et tu es séduite par son odeur. Vertige. Vous buvez un verre, pour la forme, mais très vite vous montez dans sa chambre, vous mourez d’envie de mettre en pratique tout ce que vous aviez fantasmé jusque là.
Il n’est pas aussi expérimenté que tu le rêvais, pas aussi doué que tu l’aurais souhaité, mais plus beau encore devant tes yeux et sa peau d’une douceur incomparable sous tes doigts. Ce jour là ton plaisir sera surtout celui des yeux, et celui de lui en donner énormément. Car monsieur Suisse n’est pas difficile à satisfaire, il n’a encore jamais gouté aux délices d’une fellation pétillante au champagne, tu lui fais perdre la tête rapidement. Après un moment de câlins l’un contre l’autre, vos corps imbriqués se tendent et la danse reprend. Tu décides de le chevaucher pour mieux contrôler ton plaisir, et la vue que tu lui offres ne tarde pas à le faire jouir à nouveau. Tu l’embrasses, te laisses couler contre son corps, te loves contre lui, ivre de son odeur, vous pourriez presque vous endormir ainsi. Tu es si bien.
La redescente est dure. Ton réveil sonne, tu avais mis une alarme à sonner pour ne pas rentrer trop tard. Tu dois te rhabiller, le moment se termine déjà. Il te raccompagne jusqu’à ton train, et tu rentres rêveuse.
Cette entrevue restera unique. Après cette rencontre pourtant très positive, il deviendra subitement peu joignable, lui qui était si disponible. Quand tu oseras lui demander des explications, il t’avouera qu’il a peur pour son couple. Tu l’as chamboulé bien au-delà de ce qu’il croyait, tu lui as plu bien plus que ce qu’il aurait cru possible, et il a peur de s’attacher à la jolie petite blondinette, si ce n’est pas déjà trop tard. Il te dit que tout cela lui fait peur et qu’il préfère fermer cette parenthèse avant qu’elle ne devienne trop dangereuse.
Tu n’es même pas déçue, lui aussi te plaisait un peu trop, et c’est surement mieux ainsi. Car des années après, tu ne penses plus jamais à la Suisse sans repenser à lui.