Celle qui se perd
Tu as juré.
Juré que tu serais fidèle désormais.
Mais c’est moins facile que cela en a l’air, de couper les ponts, de dire au revoir, de renoncer… Certes tu as réalisé que tu ne voulais pas perdre ton mari, et tu es prête à faire ce sacrifice pour le garder. Mais tu n’en as vraiment pas envie et c’est le cœur serré que tu t’accordes un dernier rendez-vous de liberté pour dire adieu à l’homme que tu voyais en ce moment.
Tu hésites beaucoup à lui accorder cette entrevue, après tout un coup de fil suffirait, mais il veut pouvoir t’embrasser une dernière fois, et tu te dis que c’est vrai après tout, si j’avais su que la dernière fois que l’on s’est vus serait la dernière fois, j’en aurai profité plus, j’aurais savouré différemment…
Alors quelques semaines plus tard, il te rejoint un soir à la sortie de ton travail, il t’embrasse, c’est doux, mais ça a déjà le gout d’hier et du passé. Et il te glisse, « c’est fou, tu as déjà changé. Ce n’est que le début de ta grossesse, je me doute que tu cesses notre relation pour cela, mais tes seins ont déjà grossi et cela te va superbement bien ».
Ta grossesse? Quelle grossesse? Tu n’es pas enceinte.
La vérité c’est qu’à bien y réfléchir, avec tout ce qui s’est passé, tu n’as strictement aucune idée de quand tu as eu tes règles pour la dernière fois. Tu n’y fais plus attention. Il t’a mis le doute alors à peine rentrée chez toi tu prends ton agenda, et tu comptes, tu recomptes, et tu calcules et tu poses ta main sur ton ventre. Aurait-il raison?
Il a raison bien sur, le test fait le lendemain matin vire au positif dans la seconde, et ton sourire accroché aux oreilles tu cours l’annoncer à ton mari. Il est heureux, tu l’es aussi, c’est le début de ta nouvelle vie, ta vie de maman.
Ce bébé va te donner l’impulsion qui te manquait pour tirer un trait définitif sur cette vie dispersée, et tu vas en effet devenir plus sage que jamais.
Tu prends tes vitamines, tu suis les cours de préparation à l’accouchement, tu lis des livres sur l’éducation, tu vis parentalité, tu respires parentalité. Tu te jettes dans la maternité avec un bonheur non feint, toi qui en as toujours rêvé.
Votre premier enfant nait, ton petit trésor à chérir, tu t’en occupes à plein temps, premier piège, tu commences à t’oublier, à oublier ta vie d’avant. Mais pas le choix, elle est gravement malade, tu te dois de rester près d’elle. Alors tu te consacres entièrement à ta famille, ton mari, ton enfant, ta maison. Puis le deuxième enfant, la suite logique des choses, ton bonheur est complet et sincère, tu profites pleinement.
Car ce rôle te va si bien, tu l’aimes tant, tu l’exerces avec talent, maman de la racine des cheveux jusqu’au bout de tes seins, qui ne servent plus désormais qu’à faire téter le petit dernier.
Mais ce n’est pas si simple… peu à peu la fatigue s’accumule. Les nuits blanches. Les journées passées à la maison, seule avec tes bébés, sans croiser une personne adulte pour échanger de vrais mots. Sans avoir une minute pour prendre soin de toi.
Le burn-out parental dont on commence tout juste à parler, ne disait pas son nom à cette époque, et se rapprochait dangereusement de toi. A trop te fondre dans ce rôle de mère, la femme en toi s’est effacée jusqu’à disparaître.
Tu as tenu ta promesse. Tu es fidèle consentante, heureuse de l’être, mais tu t’es perdue.