Celui qui n’avait pas de visage

Après ta petite escapade libertine, tu as repris goût à la séduction et au plaisir simple de susciter le désir et l’envie dans le regard d’hommes inconnus.

De la même façon qu’il est difficile de ne manger qu’une seule chips sans replonger la main dans le sachet, tu n’as aucune envie de laisser BelleDeJour de côté. Tu reviens donc sur ce forum ou tu échanges avec plaisir avec des hommes venus comme toi pimenter leur quotidien de sensations inédites.

C’est léger et sexy, parfois drôle, toujours dans le flirt. A coups de sous-entendus et de doubles sens, l’un d’entre eux se détache du lot et tu finis par discuter avec lui plus particulièrement, en privé. Les échanges sont fluides entre vous deux, les envies partagées, vous avez la même vision de la sexualité. Une complicité s’installe et vous vous envoyez des messages ainsi jusque tard dans la nuit. Vous en venez un jour à discuter de fantasmes… il finit par t’en confier un assez surprenant : faire l’amour avec une femme totalement inconnue, qui ne le verrait pas. Totalement dans le noir, les yeux bandés, elle ne saurait pas à quoi il ressemble, ignorerait tout de l’homme qui est en train de la toucher, et ne le découvrirait qu’après. Une idée terriblement osée.

Tu es d’abord surprise par cette idée originale, mais elle t’intrigue. Vous en discutez et plus vous en parlez plus cela te plait, au point de lui proposer d’être celle qui lui permettra de réaliser ce fantasme. Après tout, tu ne l’as encore jamais vu en photo. Tout est donc possible.

Rendez-vous est donc pris une semaine plus tard, et ces jours te paraitront d’une lenteur épouvantable. Son fantasme est devenu le tien. Tu préviens ta meilleure amie de l’endroit ou tu te trouveras, et vous convenez de lui donner des nouvelles à une heure donnée, par prudence.

Le jour venu, R. a pris le soin de s’occuper de tout. Il a réservé une chambre d’hôtel dans laquelle il t’attend, rideaux tirés pour la rendre le plus sombre possible. Tu montes directement à la chambre qu’il t’a indiquée, et tu trouves un bandeau de satin noué à la poignée de la porte à ton attention, pour que tu te bandes les yeux avant d’entrer le rejoindre. A cette vue tu réalises ce que tu es en train de faire, et soudain ton cœur pulse jusque dans tes tempes. Légers fourmillements dans le bouts de tes doigts, mais tu te reprends et saisis le tissu souple et doux. Tu le noues un peu maladroitement, te voilà aveugle…

Tu frappes à la porte. Privée de la vue, tes autres sens sont aiguisés et tu entends les pas de R. s’approcher derrière la porte, le son du déclic quand elle s’ouvre. Il ne dit pas un mot, mais prend délicatement ta main et te guide à l’intérieur. Tu avances doucement, perchée sur tes talons aiguille, il ne faudrait pas trébucher, tu ressens le sol moelleux de la moquette qui s’enfonce sous tes pas. Vous vous arrêtez tu supposes au milieu de la pièce, tu le sens s’approcher de toi. D’une main que tu poses sur son torse tu devines qu’il n’est pas très grand. Il se penche vers toi, effleure ton cou de ses lèvres, tu frissonnes, te laisse faire.

Chaque sensation est décuplée par la privation de la vue: la fraicheur de ses mains sur ta peau, le râpeux de sa barbe contre ton sein, l’odeur de sa peau que tu respires… Quand il passe sa main sous ta robe pour remonter le long de ta cuisse, tu t’abandonnes au flux de ton ressenti et à l’excitation de la situation. Tu n’es pas certaine que ce qu’il te fait te plaise mais tu es comme galvanisée par ce qui se passe, par le fait d’être à la merci d’un homme totalement inconnu, alors tu le laisses continuer en espérant que le plaisir prenne le pas sur la surprise des sensations.

Malheureusement la suite sera du même acabit, décevante. La complicité des écrits ne se retrouve pas entre vous, tu ne ressens pas de plaisir à ce que vous faites, et tu ne saurais dire si c’est parce qu’il est maladroit, qu’il s’y prend mal, ou si c’est parce que le fait de ne pas le voir gâche ce moment. Mais tu vas jusqu’au bout et vous faites l’amour, lui de son côté prend de toute évidence beaucoup de plaisir et tu te dis que c’est au moins l’un de vous qui sortira satisfait de ce rendez-vous.

Arrive finalement le moment de la découverte, de retirer ton bandeau pour découvrir enfin le visage de l’homme à qui tu viens de t’offrir. Tu redoutes ce moment autant que tu es impatiente; tu as peur d’être déçue mais hâte d’en avoir le cœur net. R. te propose de garder le bandeau jusqu’au bout, de t’en aller comme ça, de garder le secret de son visage à tout jamais, ne serait-ce pas mieux ainsi? Mais non, tu veux savoir, tu as senti de l’appréhension dans sa voix, cela te fait peur, il faut que tu saches.

Alors tu descends le tissu et ouvre tes yeux… et c’est une déception immense. Tu n’aimes pas juger sur le physique, mais tu n’as aucune attirance pour cet homme là, et il ne fait aucun doute que tu n’aurais jamais eu envie de coucher avec lui si tu l’avais vu auparavant. Tu es aussi grande qu’il est tout petit, même sans tes talons tu le dépasses de bien 10 centimètres. Tu es aussi blonde qu’il est dégarni comme un moine. Aussi jeune qu’il est vieux. Aussi solaire qu’il est disgracieux.

Fin du fantasme. Sur le moment cela te fait drôle, tu savais qu’il y avait cette part de risque mais tu n’étais pas vraiment préparée à cette éventualité. Te voilà donc échaudée et dorénavant tu prendras grand soin de bien sélectionner tes partenaires… tu restes malgré tout fière d’avoir osé ce jeu que peu de femmes auraient joué, rencontrer un homme sans visage.

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